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Hommages à un grand géographe, Christian Morissonneau
  Christian Morissonneau

1939-2019

Hommages de :

1- Jules Lamarre « Une mosus de belle vie »

2- Édith Mukakayumba « Un grand géographe nous a quitté, sans crier gare ! »

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Le 2 décembre 2019

Une mosus de belle vie
 par Jules Lamarre, Ph. D.

Le 11 novembre 2019, Jour du Souvenir, Christian Morissonneau, un des géographes les plus connus du Québec, s'est éteint. À l'occasion de ses funérailles, Maryse Chevrette, sa compagne, m'a demandé, à moi ainsi qu'à quelques autres proches de Christian, de lui rendre hommage. Ce fut un grand honneur pour moi.

Le moment venu, je me suis retrouvé en chaire à faire face à une église remplie, ou presque, de fidèles. Je me doutais bien qu'un jour ou l'autre je ne pourrais plus l'éviter, de jouer les curés... À ma gauche, il y avait le cercueil de Christian que je surplombais. Et dedans, un Christian allongé, vaincu, désormais incapable ni de s'indigner, ni de se tenir toujours droit debout comme ce « grand-père au regard bleu qui monte la garde... », comme chantait Félix Leclerc.

En m'adressant aux gens qui étaient devant moi, je voulais absolument leur faire connaître mon Christian à moi, puisqu'ils avaient déjà tous et toutes leur Christian bien à eux. Mon Christian à moi, c'était le compagnon de lutte, la personne qui vibrait à l'engagement, qui s'insurgeait contre l'injustice, qui s'émouvait pour tous les faibles et les déshérités, qui se dressait pour les défendre à sa manière sur toutes les tribunes à sa portée, toujours en usant de sa voix si caractéristique, soit son arme la plus redoutable, m'a-t-il déjà confié.

Dans cette église se trouvait la plus grande foule à laquelle il m'ait été donné de m'adresser. Mais ces gens-là, ils n'étaient surtout pas venus pour m'entendre mais pour se tenir une dernière fois aux côtés de Christian, ce pôle d'attraction, cet être plus grand que nature qu'ils aimaient. Ils étaient là peut-être encore davantage pour signifier à Maryse qu'à leur manière, ils voulaient combler l'immense vide que le départ de Christian aura créé chez elle.

Mine de rien, j'ai donc commencé par leur parler du Christian dont j'ai été l'assistant de cours en 1979, alors que j'étais étudiant gradué en géographie à l'Université Laval. Et puis je leur ai raconté comment j'ai revu Christian à l'Uqam en 1984 quand je souhaitais qu'il vienne à McGill s'adresser au groupe des étudiants gradués de géographie dont j'étais président, parce que tous ces étudiants, ainsi que leurs profs, venaient généralement d'ailleurs, et qu'ils ne savaient pas grand-chose sur le Québec qu'ils habitaient pourtant. Et puis, je leur ai raconté comment Christian avait réagi depuis l'Uqtr où il enseignait quand, coorganisateur en 2011 d'un colloque international sur le devenir de la géographie, je l'avais invité à y participer. Il s'était exclamé en disant : « Jules, votre colloque, je m'y rendrai à la nage s'il le faut ».

Et depuis ma chaire à l'église, je voyais surtout dans cette foule présente des dizaines d'absents, des amis et anciens collègues de Christian qui ont enseigné en même temps que lui et durant des dizaines d'années au total. Leur absence était inexplicable d'autant plus qu'au lendemain du décès de Christian, et à la demande de Maryse, j'avais fait circuler un courriel pour annoncer le décès de Christian, et ce, parmi tous les professeurs de géographie enseignant dans toutes les universités situées entre Sudbury et Moncton, ainsi que parmi bon nombre de ses collègues européens. Personne n'aurait pu dire qu'il n'avait pas été informé de son décès. 

Mais en y réfléchissant un peu, je pense que leur absence peut se comprendre sans être excusable pour autant. Il suffit seulement de se mettre à la place de ses collègues absents pour ressentir un malaise abyssal face à son décès. Comment quelqu'un de l'Université Laval, de l'Uqam ou bien de l'Uqtr aurait-il pu venir offrir ses condoléances en personne à Maryse, alors que dans ces universités ces gens-là ont refusé à Christian la permanence en toute collégialité, les plongeant régulièrement, Maryse et lui, dans la misère ? Christian avait pourtant fait son doctorat avec un des plus grands géographes contemporains, il avait publié des ouvrages marquants sur le Québec que bon nombre de ses collègues ne pourront jamais égaler, et encore moins surpasser. Il était surtout un travailleur acharné et des plus populaires auprès de ses étudiants et étudiantes, ne serait-ce qu'à cause de son don exceptionnel de conteur et de sa personnalité marquante. C'était peut-être cela son problème. En n'étant pas suffisamment ordinaire, il risquait de porter ombrage à tous ses collègues dont bon nombre n'étaient que cela, ordinaires.

Je regrette de n'avoir jamais pensé à raconter à Christian ce que ma mère m'a dit il y a plus de vingt ans, quelques jours avant qu'elle ne décède. Elle m'avait dit : « Jules, il faut que je te raconte que tu m'as beaucoup inquiété il y a plusieurs années. » Évidemment, j'étais alors tout ouïe. « Je te voyais qui allait sans doute devenir un professionnel du gouvernement, que tu tondrais du gazon le samedi matin, bref, que tu aurais une vie aussi plate que celle qu'a connue ton père. Mais contrairement à tes frères et sœurs, tu as pu heureusement l'éviter. Aujourd'hui, tu n'as rien dans la vie, mais, de tous mes enfants, c'est toi qui de loin a eu la plus belle vie. »

De ce point de vue, je crois sincèrement que Christian Morissonneau a eu une mosus de belle vie, ce qu'aucun de ses collègues qui a « réussi » ne pourra jamais lui enlever.

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Le 2 décembre 2019

Un grand géographe nous a quitté, sans crier gare !
par Édith Mukakayumba, Ph. D.

Un grand géographe vient de nous quitter. Apparemment. Il s’en est allé comme il a vécu. Tout doucement sans bruit. Son âme s’est envolée, comme le disait si bien Maryse, très chère Maryse, pour annoncer son décès. Oui, j’ai bien dit apparemment car, en réalité, Christian n’est pas parti. Il est encore là. Et il sera toujours là. Plus vivant et plus présent parmi nous que jamais, car les grands hommes comme lui, tout comme les grandes dames aussi d’ailleurs, ne meurent pas.

En parlant des grandes dames, je pense plus spécialement à Maryse, l’amour de sa vie, que Jules et moi avons eu le privilège et le bonheur de rencontrer grâce à Christian. Un paquet d’amour, une bouffée de fraicheur dans ce monde où l’amour, le vrai, est plutôt rare. Par Christian et Maryse, Jules et moi avons renoué avec l’espoir qu’inspire l’Amour. Ils vivaient l’amour. Ils étaient l’amour. Ils le sont et ils le seront toujours.

Christian est toujours là, ici, maintenant

Par tous ceux qu’il laisse dans le deuil, comme l’indique clairement l’avis de son décès :

« sa compagne Maryse Chevrette, son fils Didier, ses beaux-fils Félix (Natacha) et Julien (Catherine), ses petits-enfants Cendrine (Charles), Maël, Maya, Zoé et Marion, sa belle-sœur Anick (feu Roland Morissonneau), sa belle-famille, ses neveux et nièces ainsi que tous ses amis et collègues au Québec et en France ».

Personnellement, je fais partie de cette dernière catégorie, notamment de ses amis du Québec, et je me permets d’ajouter, ainsi que de ses collègues et amis de partout à travers le monde, plus spécialement, en l’occurrence, en Afrique francophone.

Je pense particulièrement ici à ceux qui, comme moi, viennent de participer, à titre d’auteurs, voire d’éditeurs, à l’ouvrage La question des régions en géographie : perspectives internationales – qui vient de paraitre chez l’Harmattan sous notre direction (Jules Lamarre et moi) – et découvrent forcément le grand géographe multidisciplinaire dénommé Christian Morissonneau. Chacun d’entre eux a en effet reçu au moins un exemplaire. Dans cet ouvrage, l’extrait de la note biographique relative à Christian le présente en ces termes :

« auteur prolifique, il a publié des ouvrages marquants, comme La Terre promise : le mythe du Nord Québécois et le rêve de Champlain. Il a surtout été une personne des plus engagées dans la vie de sa région, Lanaudière, à propos de laquelle il ne tarit jamais d’éloges ».

L’article « La naissance d’une région », qu’il a eu l’amabilité de publier dans cet ouvrage sous la rubrique « Les modes de construction des régions », saura susciter, certes, un intérêt à l’œuvre de Christian bien au-delà des frontières du Québec et de la France.

Christian est là, et sera toujours là

Il est là, et il y restera, par son héritage intellectuel et spirituel que plusieurs de ceux qui ne l’ont pas connu, ou ne l’ont connu que superficiellement, ne tarderont pas à découvrir et à s’approprier. Cet héritage est celui de l’un des personnages qui a représenté le Québec en ce qu’il a de meilleur. Celui que j’ai connu personnellement est :

Un grand géographe, et fier de l'être

Je parle ici d’un homme que j’ai connu, cela fait exactement quarante ans (en 1979), à l’Université Laval, dont j’ai perdu les traces pendant les trente années suivantes, pour le retrouver à la charnière de la décennie 2010/2011.

L’image que j’ai gardé du professeur Christian, de 1979, fut et demeure, au-delà de celle d’une étudiante privilégiée d’être l’une de ses assistantes de cours (travaillant alors en équipe avec Jules Lamarre et Loïc Grasland, aujourd’hui professeur à l’Université d´Avignon et des Pays du Vaucluse) celle d’un bel homme, à une allure noble et digne, qui représentait tout ce dont on pouvait être fier comme géographe. À cette époque, tout allait bien dans le meilleur des mondes. La géographie lavalloise était un univers grouillant de vie, où chacun recevait et donnait à la mesure de ses compétences et de ses capacités, raison pour laquelle chacun y trouvait sa place. C’est du moins le souvenir que j’en ai gardé.

Trente ans plus tard, en 2010-2011, Jules et moi avons revu Christian, un peu plus transformé en apparence, un peu plus fatigué par des années de labeur dans un monde plutôt ingrat et incertain, mais toujours inspirant pour ce qu'il représentait de la géographie universitaire. Alors que cette discipline était affaiblie par des coups multiformes de diverses origines avait besoin de soutien, Christian fut l'un des rares à se tenir debout et pour se battre pour la défendre et n'hésitait pas à dénoncer ses traîtres, comme l'indique l'extrait de l'article « La région éclatée » qu'il a publié dans l'ouvrage « La géographie en question » paru chez Armand Colin sous notre direction (Édith Mukakayumba et Jules Lamarre) en 2012 (p. 167).

« Alors notre discipline a été une mère avec beaucoup d’enfants, mais tous sont ingrats après avoir quitté le foyer maternel sans faire mention de leur origine. Non seulement des disciplines, des champs d’études, des pratiques sont nés au moins d’une approche géographique des phénomènes, mais, les personnes qui ont été formées dans les écoles et les universités, à la géographie, donc qui peuvent se dire géographes et qui sont ainsi bien vus, eh bien, beaucoup de géographes se hâtent de défroquer ».

Christian Morissonneau est un grand amoureux

Son amour pour Maryse est à la foi incroyable et vraie mais aussi des plus inspirants. Et cet amour sans limites embrassait aussi le Québec, et le Peuple québécois, raison pour laquelle Christian est un grand nationaliste québécois. Son amour du Québec et des Québécois n’est pas seulement de mots, c’est-à-dire platonique. Il en a témoigné dans les faits concrets, à chaque fois qu’il en a eu l’occasion. Il est aussi un grand amoureux de l’humanité. Il aime sans compromis, sans concession, pour le meilleur et pour le pire. Et il est loyal.

L’une des principales manifestations de cet amour fut celle des régions du Québec. Il les a parcourus, les a habitées, les a nommées, en a transmis l’amour à ses étudiants et à toutes les personnes qui ont eu le privilège de le côtoyer.

Mais aussi, et, surtout, Christian c’est un grand artiste qui voit grand, rêve grand, ce qui fut sans doute une force et une faiblesse dans un monde où on a tendance à tout globaliser pour les bénéfices des profiteurs de tout acabit, sans foi ni loi.

Avec le départ de Christian, pour l’Autre Monde (où nous le rejoindrons un jour), c’est une partie précieuse de notre mémoire collective – et, surtout, de notre mémoire historico-géographique – qui disparait. Et cette mémoire est trop précieuse pour être reléguée aux oubliettes sans nous exposer à perdre ce qui nous définit. La vie n’étant ni tout ni tout à fait noir ni tout à fait blanc, il fallait, peut-être, que notre cher Christian il s’en aille pour que vive et s’épanouisse son héritage – son œuvre et ceux qui en assureront la pérennité - dans toute sa grandeur et dans toute sa beauté.

Les régions du Québec, en particulier, et celles du monde, en général

Son départ devrait être l’occasion de réfléchir sur ce qui nous unit, plutôt que sur ce qui nous sépare, sur « ce qui nous reste quand on a tout perdu », c’est-à-dire sur la culture, notre culture; sur l’identité, notre identité; sur l’avenir, sur l’héritage (que laissons-nous? Qu’allons-nous laisser aux futures générations?). Son article « La région comme rempart de l’homogénéisation du monde », paru dans La géographie en action, une collaboration entre la science et le politique, un ouvrage publié sous notre direction (Edith Mukakayumba et Jules Lamarre) aux Presses de l’Université du Québec en 2015 (P. 41-54) nous indique une piste à explorer, pour résister à cette globalisation qui massacre les beautés du monde.

L'amour

Christian s’en est allé, comme un héros. À nous de poursuivre son combat. Pour le Québec, notre beau pays , et pour ses régions si magnifiques et si attachantes qu’il nous a appris à connaitre et à aimer. Pour l’Amour. L’Amour du Christ. L’Amour du Québec. L’Amour de l’humanité.

Avec tout notre amour pour Christian et pour tous ceux et toutes celles qui pleurent son départ.

Edith Mukakayumba, Ph. D,
Géographe

 

  Selon le sens donné à ce terme par le dictionnaire de français Larousse le pays est un « territoire d'une nation délimité par des frontières et constituant une entité géographique : Visiter des pays étrangers. Région envisagée au point de vue d'une certaine identité ou communauté d'intérêts de ses habitants » (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/pays/58825).